On avait adoré (comme tout le monde !) le quatuor de pièces de Wajdi Mouawad, composé de Littoral, Incendies, Forêts et Ciels. Ces spectacles réunissaient toutes les caractéristiques des chefs-d’œuvre : une vraie histoire, avec un questionnement sur des thèmes universels, de l’émotion, une scénographie incroyable, à la fois somptueuse et pertinente, des comédiens hors pair et un souffle épique qui entraînait irrémédiablement le spectateur dans l’univers de la fiction. Seuls réunit tous ces ingrédients, excepté la dimension épique, puisque c’est quasiment un huis clos, avec un seul protagoniste. On découvre donc un spectacle magnifique et, en plus, on est ravi de constater que le théâtre de Wajdi Mouawad évolue et sait encore nous surprendre.Cette fois, l’auteur et metteur en scène est aussi l’unique comédien de sa création. Seul en scène, il campe un universitaire sur le point de soutenir sa thèse (sur Robert Lepage !). Le début est intéressant, mais on assiste de manière assez détachée aux interrogations de ce trentenaire sur l’orientation de ses recherches et sur les modalités pratiques de sa soutenance. Cependant, la scénographie est déjà là pour retenir notre attention : un plateau assez dépouillé, réduit à quelques éléments de mobilier, avec une utilisation de la vidéo originale et surprenante.Puis, on avance dans l’histoire de cet homme, par petites touches, lorsqu’il parle à ses proches, par exemple : à sa sœur, au téléphone, à son père, au chevet duquel il reste un temps ; on commence alors à entrer dans son intimité et dans sa pensée. A ce moment, tout bascule : on est capté par le spectacle, et d’autant plus facilement que Wajdi Mouawad est aussi un très bon comédien, aux accents très naturels.On aimerait en raconter un peu plus, mais ce serait gâcher la surprise de la découverte aux futurs spectateurs. Contentons-nous donc d’ajouter que les thèmes abordés : l’identité, la famille, les origines, le déracinement, sujets chers au metteur en scène et véritables fils conducteurs de ses productions théâtrales, reviennent dans Seuls, développés plus qu’ailleurs car ils sont liés à sa propre vie que c’est sans doute son spectacle le plus autobiographique.Ajoutons également que l’intérêt de la pièce va crescendo, sur tous les plans ; la scénographie est de plus en plus travaillée au fil de la représentation (l’utilisation de la peinture, notamment, déjà mise en œuvre dans ses opus précédents, est ici effectuée d’une façon nouvelle et très créative) et l’histoire est de plus en plus passionnante. Elle ménage, en outre, quelques rebondissements efficaces. Tout est savamment dosé et rythmé, avec une intensité croissante, qui finit par emporter notre adhésion totale à la fin des deux heures de spectacle. C’est beau, c’est intelligent, c’est émouvant. Qu’ajouter à cela ? Wajdi Mouawad semble bien être, à défaut du "fils prodigue" (la référence au tableau de Rembrandt est l’un des leitmotivs de la pièce), le metteur en scène génial de la décennie.